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« Survivre. Une histoire des guerres de religion », de Jérémie Foa, Seuil, « L’univers historique », 344 p., 23 €, numérique 15 €.
De livre en livre, Jérémie Foa transforme profondément notre compréhension des guerres religieuses qui déchirèrent la France entre 1562 et 1598. En 2015, dans Le Tombeau de la paix (Presses universitaires de Limoges), il montrait le cruel paradoxe des édits de pacification. Ces édits reconnaissaient aux protestants la liberté de conscience mais, en limitant drastiquement les manifestations publiques de leur foi, ils permirent condamnations et emprisonnements. En 2021, dans Tous ceux qui tombent (La Découverte ; lire la chronique « Les yeux dans les poches » du « Monde des livres » du 6 septembre), Jérémie Foa proposait une interprétation nouvelle du massacre de la Saint-Barthélemy (24 août 1572), qui insistait sur la proximité entre les tueurs catholiques et leurs victimes protestantes, voisins ou parents de leurs bourreaux. Pour les massacreurs, expliquait-il au Monde.fr (24 octobre 2021), « il n’y a finalement rien de plus insupportable que ces “hérétiques” qui leur ressemblent autant. (…) Le massacre devient une occasion de faire cesser cette ressemblance ».
Dans Survivre, Jérémie Foa reprend cette interprétation des violences extrêmes, comprises comme le désir de rendre visible une « introuvable altérité ». Mais son livre est bien plus que cela, comme l’indique son sous-titre, Une histoire des guerres de religion. Cette histoire est différente des précédentes pour deux raisons. La première est de méthode. Jérémie Foa a construit sa démonstration à partir d’études de situations, à la manière du sociologue américain Erving Goffman (1922-1982). Soumises à une « description dense », ces situations révèlent la tension fondamentale qui porte les anxiétés du temps des guerres civiles.
Leurs protagonistes, en effet, sont « pris entre deux demandes impossibles : d’un côté, celle de se montrer sincères, voire enthousiastes, dans leurs adhésions religieuses ou politiques, de l’autre, celle de savoir dissimuler à temps ces adhésions ». Dans le livre, l’accent est mis sur les tactiques de la dissimulation. Elles exigent un strict contrôle des émotions, qui peuvent trahir la véritable identité, et une constante vigilance, qui permet de reconnaître l’ennemi – et le péril. L’exercice est ardu dans le monde à l’envers installé par les guerres civiles : les mots y ont perdu leur sens attendu, les objets quotidiens peuvent être des armes de mort et les espaces de la vie ordinaire sont devenus des cibles, des cachettes ou des mouroirs. Plus rien ne va de soi dans le temps des fausses apparences.
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